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difficile aussi à manier, mais ce serait encore une méthode, et celle que mon goût préférerait. Prenons cette œuvre, jeune ou vieille, et voyons si elle agrée à notre intelligence, si elle nous fait réfléchir, si elle émeut notre sensibilité, si elle évoque en nous des désirs ou des songes, si elle flatte notre idéal de beauté, enfin ? Mais M. Brunetière, à ce programme, haussait les épaules : il méprisait la critique « des goûts et des couleurs ». Comme il démontrait bien que si le rouge est une belle couleur, le violet est nécessairement une couleur détestable !

Cet homme était un rationnaliste invétéré ; il ne croyait qu’à la raison, il ramenait tout à la raison, oubliant que le domaine de la raison est, en somme, un domaine très limité et que la logique qui nous guide n’est presque jamais, selon l’expression de M. Ribot, que la logique des sentiments. Lui-même y céda parfois, et surtout à la fin de sa carrière, quand la religion devint son inspiratrice, quand il s’inclina devant des dogmes dont la raison est précisément absente, quand il demanda à ses croyances des motifs d’aversion ou de dilection. Mais on doit reconnaître que, même à ce moment, quand il revenait vers des sujets tout littéraires, M. Brunetière ne capitulait plus avec ses principes rationnalistes. Son dernier livre, son Balzac, en est