Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rien. Par une extraordinaire rencontre, c’est précisément sur les œuvres mises à l’index que s’est arrêtée l’admiration des hommes ; et les catholiques eux mêmes, pour participer à la civilisation, doivent étudier et s’assimiler ces livres, que d’audacieux imbéciles qualifièrent de néfastes. Et puis, quoi de plus dangereux que déjouer avec l’esprit de contradiction, d’éveiller, par des défenses malhabiles, la curiosité ? L’Église a constamment imité Barbe-Bleue. « Servez-vous de toutes les clefs, excepté de celle-ci. Allez partout, ouvrez tout, excepté ce cabinet. » Elle a été obéie comme Barbe Bleue : certains livres auraient passé inaperçus qui, condamnés par elle, ont eu un moment de célébrité.

C’est d’ailleurs le droit de l’Église, de signaler à ses fidèles les ouvrages qu’elle juge mauvais. De tels jugements étant dénués de sanction, il n’y a qu’à les considérer comme une forme, seulement un peu orgueilleuse, de la critique philosophique. Cela ne fut grave que dans les temps et les pays où elle eut jadis le crédit de faire brûler à la fois et le livre et l’auteur, comme il advint de Giordano Bruno, excellent philosophe, comme il advint, dans une Église rivale, de Michel Servet, cette torche qui éclaire les premiers pas du calvinisme. On dirait que tout théologien contient un bourreau. Hélas ! les magistrats civils ne furent, durant de