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ment fabriqué à Paris par des industriels allemands qui ont leur maison d’exploitation à Leipzig, à Hambourg ou à Berlin. On le reconnaît à sa couverture grossièrement illustrée, dont le dessin, où la patte allemande se révèle, est censé représenter une petite Parisienne en goguette. A l’intérieur, parmi un texte sans génie, on voit nager d’aguichantes vignettes : des couples qui s’embrassent, des femmes qui mettent leurs bas ou qui changent de chemise, des effets de coup de vent bouleversant les jupes, des scènes de bains de mer, poitrails et croupes bombant dans un maillot rayé comme un zèbre. C’est cette humble luxure germanique que les Américains appellent la « pornographie française ». Mais puisqu’elle est rédigée en une sorte de français, puisqu’elle porte le nom d’une librairie installée à Paris (avec un nom en ach, en adt ou en risch), acceptons-en provisoirement la responsabilité. Aussi bien ne sera-t-elle pas très lourde.

Que prouve, en effet, la diffusion de ces livres en Amérique ? Que la France est corrompue ? Qu’elle n’a plus ni sens moral, ni sens esthétique ? Nullement. Elle prouve que les Américains sont de fervents amateurs de pornographie, voilà tout. Ils en demandent, on leur en donne. C’est de l’économie politique la plus classique. Si Chicago fabrique du porc salé, c’est qu’il y a de par le monde une