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sent leur vie à déshabiller devant les badauds des filles dont la vue est plutôt décourageante. Les étrangers qui se laissent prendre à cela ne sont guère intéressants. Ne sont-ce pas les mêmes qui se régalent de champagne allemand et de bordeaux australien ? Il faut des ordures pour les goûts orduriers. Ni les bons vins français, ni la bonne littérature française ne reçoivent un vrai dommage de l’existence de ces marchandises avariées ; la clientèle qui s’en délecte mourrait d’inanition devant des produits trop fins pour sa grossièreté. Supprimez la pornographie et vous ne vendrez pas un exemplaire de plus du Mannequin d’osier.

Mais il y a un autre point de vue, celui de l’extension que pourrait prendre une guerre commencée contre la seule pornographie. On voit bien à qui seraient portés les premiers coups, mais il est difficile de prévoir qui recevrait les derniers. C’est une question assez délicate de savoir où doit s’arrêter, pour respecter la pudeur, la description d’une scène d’amour, par exempte. Et en fait de langage, quels sont les mots permis et les mots défendus ? Établira-t-on un tribunal où devront comparaître les livres nouveaux ? Si on l’établit, ne faudra-t-il pas aussi qu’il entreprenne une révision générale ? Lui soumettra-t-on Rabelais, La Fontaine, Voltaire ? Jugera-t-il de la valeur littéraire