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peut-être inexact. Ils sont ainsi. Pour eux, les gestes de l’amour doivent rester absolument secrets ; jamais dans leurs romans les choses ne vont plus loin que le baiser, et le reste n’est même pas sous-entendu ; on ne doit pas, on ne peut pas y penser : ce serait grossièreté. La nudité féminine fait horreur à un Anglais, et son premier soin, aux minutes tendres, est d’éteindre les lumières de peur d’apercevoir une épaule nue. J’ai relevé ce trait dans un roman récent et je le crois exact, quoi qu’il y ait certainement beaucoup d’Anglais émancipés. Dans un tel monde, nos livres d’imagination, où on trouvera toujours quelque page légère ou passionnée, feront nécessairement scandale. M. Bourget, aujourd’hui de si haute réputation morale parmi nos voisins, a longtemps passé, chez eux, pour une sorte de Pigault-Lebrun, et Zola ne s’y vend encore que sous le manteau. Pour nous, l’expression de roman réaliste n’a qu’un sens purement littéraire ; pour les Anglais, cela correspond assez, avec un sens atténué peut-être, à notre mot pornographie. Comme le notait si bien l’autre jour M. Gustave Geffroy, dans les vitrines affriolantes du Palais-Royal, on voit les romans de Flaubert et de Zola affublés de la qualification realistic novels, à côté des Nocturnal Paris et autres livres d’une obscénité réelle ou supposée.