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Antoine n’eût jamais retrouvé la paix où s’écouleront ses derniers jours. C’est une excellente condition d’avoir désiré tout pour se contenter de presque rien. Avoir vu passer le long des rêves le cortège de toutes les curiosités et de toutes les beautés de la vie, cela incline assez facilement vers la résignation aux réalités les plus simples. Quand Antoine se retrouve, il doit éprouver le sentiment d’avoir échappé au bonheur, avec la même reconnaissance que le commun des hommes ressent envers le destin, quand il a échappé au péril. Le bonheur d’être aimé par la reine de Saba eût été si lourd qu’Antoine eût été incapable de s’y conformer, et il n’était point fait davantage pour être le chef spirituel du peuple, malgré ce qu’Hilarion tente d’insinuer à son naïf orgueil d’un moment. Et qu’eût apporté de joies la science à sa faible intelligence ? Après un éclair d’extase, elle eût faibli, incapable de concilier les contradictions de la connaissance, de démêler les subtilités de l’esprit, de considérer, de la hauteur qu’il faut, le choc futile des croyances, la vanité des luttes dont un mot est l’enjeu.

Aussi, lorsqu’il a vaincu ses tentations, c’est comme s’il avait vaincu la vie. Il l’a domptée, et il se couche dessus comme sur une peau de lion. Cela lui fera un tapis pour s’agenouiller devant son idole, devant la croix pour l’amour de laquelle il a