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moins de bonheur, de la transplanter en des terrains nouveaux. Vers le même moment, Arsène Darmesteter écrivait sa Vie des Mots, livre délicieux et absurde, où le détail est exact et neuf, livre dont la conception était si folle qu’elle faillit faire dérailler toute la philologie : il fallut le bon sens de M. Michel Bréaî pour nous faire comprendre combien il est insensé de vouloir étudier les langues en faisant abstraction de la psychologie humaine et de la volonté individuelle. Je crois que M. Bréal contribua à remettre M. Brunetière dans le droit chemin.

De ce contact douloureux avec la science, M. Brunetière garda un mauvais souvenir. N’ayant pu plier la science à son usage et à un usage déterminé, il crut qu’elle n’était bonne à rien. Comme elle ne lui avait pas répondu quand il l’interrogeait sur l’évolution des genres littéraires, il crut qu’elle ne pouvait lui faire aucune réponse utile et avec une précipitation fougeuse, il en proclama la faillite. Ce fut la seconde folie de M. Brunetière et celle qui acheva sa réputation d’homme entre tous raisonnable. C’était déjà un grand mérite d’avoir répudié Darwin, en répudiant toute la science, il devint le maître de ceux qui avaient peur de la science et n’osaient avouer leur peur. Mais répudiait-il toute la science ? Il y eut là un singulier malentendu.