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tre part, avait lancé ses trois mots fameux, la race, le milieu, le moment ; M. Brunetière, unissant hardiment le darwinisme au tainisme, traça un plan merveilleux de l’évolution des genres littéraires, suite, ou plutôt contrepartie de l’évolution des espèces naturelles. Il prétendait nous instruire d’abord sur les genres littéraires, considérés comme des sortes d’organismes vivants et soumis au transformisme. Ensuite, il nous allait montrer comment ces singuliers animaux subissent les actions de la concurrence vitale et de la sélection naturelle ; il était question aussi de l’hérédité et de l’individualité, de l’homogène et de l’hétérogène, et de plusieurs autres mystères. Un instant, M. Brunetière, qui cachait alors ses idées secrètes, passa pour un révolutionnaire ardent. Quel était cet homme qui venait bouleverser les vieilles conditions de la critique et qui remplaçait froidement Boileau par Darwin et Sainte-Beuve par Hœckel ? C’était un homme qui se trompait et qui ne tarda pas du reste à s’en apercevoir. Le programme de l’évolution des genres ne fut jamais exécuté. Tout ce que nous en connûmes tient dans une innocente étude sur l’Évolution de la poésie lyrique au dix-neuvième siècle, honorable travail et que tout professeur consciencieux eût pu mener à bonne fin ; car rien n’est moins mystérieux vraiment que les trans-