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de tels passages. On ne peut lui en vouloir d’avoir peu goûté la perspective de l’échafaud ou même de la prison. Il préférait sa prébende de Montauban, et non sans d’excellentes raisons. Il ne pouvait guère, non plus, laisser passer un discours où Cyrano démontre que, séparée du corps, l’âme, en supposant son existence, ne serait plus rien qu’un peintre sans pinceaux, un orateur sans organes de la voix, un artisan sans outils. Puisqu’elle pense avec, le cerveau, et pense de travers si le cerveau est malade, comment pensera-t-elle quand elle n’aura plus de cerveau du tout ? Je donne textuellement l’idée de Cyrano. Elle est d’une certaine logique. Je ne crois pas qu’il l’ait tout à fait inventée, mais il lui donne une forme nouvelle et amusante.

Sur les miracles, les guérisons miraculeuses, en particulier, Cyrano de Bergerac expose nettement la théorie toute moderne de l’auto-suggestion. Et il ajoute cette remarque : si le malade demande au ciel sa guérison et qu’il soit guéri, les prêtres diront qu’il a reçu la récompense de sa foi ; s’il ne guérit pas, ils diront qu’il n’a pas prié avec assez de ferveur. Sa manière de traiter la question de Dieu est encore plus irrespectueuse. S’il existe, dit il, qu’il se fasse voir, qu’il se fasse reconnaître, du moins, qu’il se prouve de manière irrécusable. Quel est donc ce Dieu qui se manifeste aux uns et pas aux autres,