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premiers livres, sur un plan ordonné et déjà détaillé par Cyrano de Bergerac. Tel est le bouffon que l’on joue sur le théâtre avec un faux nez !

La hardiesse philosophique de Cyrano a quelque chose d’incroyable. Ses idées, en l’an 1650, sont exactement au niveau des plus libres que l’on puisse professer de nos jours. On peut les résumer en quelques mots : il ne croit à Dieu, ni à l’immortalité de l’âme, ni à la morale conventionnelle. Les pages inédites de l’Autre Monde, que j’ai trouvées à la Bibliothèque Nationale, ne laissent aucun doute à cet égard. C’est peut-être l’esprit de son temps le plus complètement dégagé de l’enseignement chrétien. Voltaire n’a pas tourné en ridicule avec plus d’esprit les dogmes grossiers de la Bible sur le paradis terrestre, le serpent, la pomme. Il prend ces histoires, sur lesquelles des pauvres d’esprit disputent encore, pour ce qu’elles sont, pour des contes curieux, mais qui deviennent de monstrueuses niaiseries, si l’on prétend en faire des vérités éternelles. Son interprétation du mythe du serpent, dont la femme peut, à son gré, faire lever ou baisser la tête, est assurément un peu risquée, mais tout de même d’une bonne qualité d’esprit gaulois. Le publicateur des États et Empires de la Lune, le bon chanoine Lebret, quoique bien fidèle ami de Cyrano, supprima naturellement