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le reste de sa vie que par ce que l’on m’en a conté. Cela ne me regarde plus. Ici s’arrêtent mes souvenirs. J’ajouterai cependant que si Huysmans cessa de me voir à son retour de la Trappe, ce fut sur les conseils de certains, qui craignaient pour lui l’influence de mon visible scepticisme. Comme les prêtres avaient négligé de modifier son caractère, ce qui eût été difficile, il continua, converti, à dire beaucoup de mal de ses contemporains, et j’en eus ma part. Il ne m’a pas épargné, mais qui a-t-il épargné ? Pas même son tendre et fidèle ami, L—y, pas même, oblat, les moines de Ligugé qu’il traitait un jour, devant M. Uzanne, de « cochons », tout simplement ! Il resta jusqu’au bout méchant en paroles et bon en actions. C’est un contraste que l’on trouve chez les hommes qui ont trop d’esprit, et surtout trop d’esprit critique. Mais il fut porté chez Huysmans à un degré qui rendait souvent ses conversations fort pénibles. Cependant, il n’y mettait nulle amertume. Aussi sa victime du jour devenait-elle son confident du lendemain, et réciproquement. Quand on le quittait, il aurait fallu oublier ce qu’on avait entendu. Je ne l’ai pas toujours fait, je ne m’en repens pas.