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SAINT-AMANT


Saint-Amant a tous les dons d’un grand poète, et pourtant il serait peut-être excessif de l’appeler ainsi. C’est qu’il lui a manqué tout de même je ne sais quelle sérénité supérieure, je ne sais quels dons spirituels. Notre sensibilité ne protestera plus si l’on ajoute un mot au jugement : Saint-Amant fut un grand poète verbal. Il n’est, à ce point de vue tout philologique, ni Ronsard ni Victor Hugo, mais de Ronsard à Victor Hugo, aucun porte-lyre ne mania son instrument avec autant d’aisance, de fougue, n’en tira des musiques plus riches ni plus sonores. Cette allusion musicale est à sa place : Saint-Amant était un musicien passionné ; conscient de son talent sur le luth, il vante naïvement, en plus d’une page, la douceur des accents qu’il en tire et il a loué les rossignols quand il a dit :

… Faisant retentir leur douce violence,
Ils rendent le bruit même agréable au silence
Et d’accents gracieux lui forment un salut
Qui se peut égaler aux charmes de mon luth.