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ses livres, car il possédait une fort belle bibliothèque[1]. Si c’est une légende[2], elle est digne de toucher les bibliophiles, car cette passion des livres devait coûter la vie au pauvre Champcenetz. Il fut reconnu, arrêté, jeté en prison et guillotiné le 10 juillet 1794.

Son caractère insouciant ne se démentit pas un instant devant la mort et il humilia du moins ses bourreaux stupides par son impertinence et sa gaîté de la dernière heure. Il mourut avec bonne humeur, sortit de la vie comme d’un souper chez Mafs. A Fouquier-Tinville, la condamnation prononcée, il demanda : « Est-ce comme à l’Assemblée nationale, est-ce qu’il y a des suppléants ? — Pourquoi ? — C’est que je me ferais remplacer par vous. » Il disait au charretier, qui menait la voiture au lieu d’exécution : « Mène-nous bien, l’ami, tu auras pour boire. » Au pied de la machine, il se passa cette scène, que Mallet du Pan a racontée[3] : « Un de ses compagnons, Parisau[4], rédacteur de la

  1. La vente en dura quinze jours dit Poulet-Malassis, les Ex-Libris français (1875).
  2. Champcenetz l’aurait avoué à Jourgniac de Saint-Méard, qui le rapporte. Ce qui n’est pas une légende, c’est son refus d’émigrer, motivé en partie par ses livres et ses estampes, en partie par son insouciance. Parisot lui avait promis de le sauver. Voyez les Mémoires de Tilly, ch. xii.
  3. Mémoires.
  4. L’innocent Parisau, homme fort modéré, fut confondu par la