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écoutant tout avec fermeté, déraisonnant pour faire raisonner. C’était le bon temps des espions de police, la société étant très ouverte ; depuis qu’on ferme ses portes, ils ne peuvent plus guère noter que les actes extérieurs : d’où décadence de la fonction[1]. Le gobe-mouche inquiet, nous dirions pessimiste, croit toujours que la société marche aux abîmes ; il ne se trompait pas en 1788. Terrifié, il fournira le premier groupe des émigrés.

Parmi d’autres, voici encore le gobe-mouche littéraire, bel esprit philosophe, qui joue à fronder l’opinion, « appelle la fausseté, de la finesse, la lâcheté, de la prudence, et l’escroquerie, de l’adresse ». Il soutient ses folies avec éloquence et bonne humeur : c’est quelque neveu de Rameau ou Diderot lui-même.

Dans le gobe-mouche sans-souci, Champcenetz a fait son propre portrait. C’est le rieur universel, « celui qui bafoue les plus honnêtes ridicules, qui ne respecte que ce qu’il ne connaît pas, qui ne craint que l’ennui, qui apprend les malheurs publics sans la moindre contorsion d’intérêt, et interrompt l’affliction la plus respectable par sa gaîté étourdissante, qui prend le parti de ridiculiser ce qu’il n’est pas

  1. Comparez les rapports si plats que publièrent les journaux, il n’y a pas très longtemps, avec les dossiers des Archives, si curieux qu’on en tire des livres.