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Cela l’excitait à quelques blasphèmes ; il exposait gravement que, le pain et le vin du sacrifice étant adultérés, Dieu se refusait absolument à descendre désormais sur les autels, dégoûté du vin de raisins secs et des hosties en fécule de pommes de terre. Était-il déjà croyant ? je ne le pense pas ; non plus qu’il ait jamais été libre penseur. Élevé chrétiennement, il avait toujours gardé un goût secret pour la religion. Quand ses forces décrurent, quand les plaisirs de la vie lui furent mesurés, il se tourna tout naturellement vers des croyances qui lui promettaient des joies compensatrices de celles qui se retiraient de lui.

J’ai collaboré sans le savoir à la conversion définitive de Huysmans, en lui faisant connaître Mme de C…, qui avait à ce moment des familiarités avec l’Église. Elle lui donna occasion d’assister à des cérémonies religieuses rares et émouvantes, telle une prise d’habit aux Carmélites de l’avenue de Saxe. Nous y entendîmes un bien fâcheux sermon du cardinal Richard, mais tout en mouchetant de ses sarcasmes cette pourpre médiocre, Huysmans était touché. Mme de C… nous conduisit un soir au salut chez ces mêmes Carmélites ; leurs psalmodies lugubres répandaient dans l’âme une sorte de peur sacrée qui troublait Huysmans. J’ai utilisé dans le Fantôme ces mêmes impressions d’une