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rait volontiers, mais cela n’est pas certain. La société moderne semble née de la Révolution ; mais que seraient devenues les idées de la Révolution, sans les chemins de fer et les usines ? La démocratie vient-elle de la déclaration des droits de l’homme ou des manufactures d’objets de demi-luxe à bon marché ? L’influence des idées sur la marche physique des choses n’est peut-être qu’une illusion. Nous vivons une vie et nous en pensons une autre, mais nous sommes toujours enclins à juger que la vie que nous pensons se confond avec celle que nous vivons. Se croire heureux et être heureux, c’est la même chose. La vie n’est qu’une représentation et sa réalité vive nous échappe. Le peuple le plus malheureux de la terre peut se trouver content, et des peuples heureux, méconnaissant leur félicité, peuvent se précipiter dans les révolutions. Il est probable que la condition relative des hommes n’a jamais beaucoup changé. La paille, qui est le tapis des bœufs à l’étable, a été la litière des rois dans leurs chambres du Louvre. L’éclairage public date d’hier ; l’éclairage privé date d’avant-hier ; des vies éclatantes se sont déroulées dans cette même soumission au soleil, qui régit l’activité des animaux sauvages. Tout est relatif, voilà ce qu’il ne faut jamais perdre de vue. Rivarol plaignait les peuples qui ont ignoré le cheval et la voile, et nous rions