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nature, toujours pessimiste. La vérité est très différente : il ne se passe presque jamais rien : ou bien si l’orage a détruit les récoltes d’un canton, la température a favorisé celles du canton voisin. En même temps, dans le canton ravagé, la vie a continué telle qu’elle va éternellement, soutenue par son propre sentiment, qui est la conscience des passions.

Plus l’historien accumule de menus faits, et de ceux qu’il juge caractéristiques, et plus son histoire est fausse. Il faudrait, au moins, les prendre au hasard. Mais il faudrait surtout aux faits exceptionnels mêler les gestes quotidiens. Il y a un peu de vérité dans l’Histoire de la société française pendant la Révolution ; il n’y en a plus guère dans les Origines de la France contemporaine[1]. Je ne parle pas ici des idées de M. Taine, mais sa méthode me semble la plus détestable de toutes celles que puisse adopter un historien. Les Goncourt, dans leur livre, qui demeure précieux, consignent tous les faits qu’ils ont rencontrés dans une lecture immense ; Taine, dans une lecture également considérable, a rencontré également beaucoup de faits : il choisit. On croit que c’est au choix que

  1. Sur la manière historique de Taine, voyez l’ouvrage de M. Aulard : Taine et la Révolution française. Je n’ai pu en faire état, le présent écrit étant très antérieur, mais je me suis trouvé d’avance à peu près de l’opinion de M. Aulard.