Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/13

Cette page n’a pas encore été corrigée

idée de la conversion possible de Huysmans. Je croyais que, pour lui comme pour moi, le décor catholique n’était qu’un décor. N’y voyant qu’une méthode d’art, qu’un moyen romantique, qu’une arme de guerre contre la laideur naturaliste, j’étais très loin de supposer que, sous le rideau de pourpre et d’or, Huysmans cherchât des réalités dogmatiques : nos conversations étaient si peu édifiantes, si loin de toute religiosité !

Nous arrivions donc, chevauchant les plus capricieuses médisances, au café Caron. C’était un établissement singulier, tout à fait à l’ancienne mode, un salon plutôt qu’un café. On y défendait les jeux bruyants, tels que dominos ou jaquet. La pipe en était prohibée sous peine d’exclusion et les conversations à trop haute voix, mal tolérées. Renommé encore pour sa cuisine, ce café, qui avait eu des jours de gloire, ne voyait plus que de rares clients s’asseoir sur ses divans de velours rouge : un vieux rédacteur de l’Univers, nommé Coquille, qui grimaçait dans son coin ; un juif polonais, Rabbinovicz, qui composait là une grammaire hébraïque, étalant sur sa table quantité de graisseux papiers ; un comte italien, correspondant de journaux, qui, entré au café à midi, en sortait à minuit, sans avoir cessé de remuer et de grommeler ; le rédacteur à tout faire de la maison Didot, Louisy, un petit vieux