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que son travail officiel était bouclé, il prenait son chapeau, en manifestant la joie d’un chien qu’on délivre de sa chaîne. C’est dans ce bureau détesté, pourtant, qu’il écrivit presque tous ses livres. Le manuscrit de Là-Bas, entre autres, y resta en permanence. Ayant déjeuné de fort bonne heure rue de Grenelle, au restaurant de la Petite-Chaise, où il était gâté, il arrivait au ministère vers onze heures, expédiait les affaires courantes, puis se mettait à rédiger, sur le magnifique papier de l’État, l’histoire du maréchal de Retz et celle de Durtal. Il raturait fort peu. L’image singulière, la métaphore brutale venaient spontanément sous sa plume. Son style parlé, du reste, ressemblait tout à fait à son style écrit, preuve que sa manière tourmentée était le reflet naturel de son caractère inquiet, curieux du rare, de l’inédit et de l’impossible. Il reprenait sans peine la phrase interrompue par l’entrée du garçon de bureau muni d’un dossier. Il écrivait lentement, peu à la fois, mais avec régularité. La documentation de ses livres, qui semble merveilleuse au premier abord, était, en réalité, fort rudimentaire. Son art en ce genre de travaux était celui d’un cuisinier supérieur, alchimiste habile et qui tire de vulgaires herbes, d’ordinaires viandes, les coulis les plus raffinés, les sauces les plus pointues. Toute la partie d’À Rebours