Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

duction complète, celle de Grangier, en vers (1597), mais plus difficile, de beaucoup, à entendre que l’original, et une traduction partielle, l’Enfer, par Moutonnet de Clairfonds (1776). La seule critique dont soit digne le travail de ce Moutonnet est précisément celle de Rivarol[1] : « Il nous a paru, au premier coup d’œil, que M. Moutonnet était trop doux pour traduire l’Enfer. » Répliquera-t-on à Rivarol : « Vous, vous étiez trop prudent, de trop de goût. » Cela serait injuste. Rivarol, excellent logicien, partait toujours d’un principe. Il n’est guère un de ses bons mots même derrière lequel il ne se cache une idée. Dante était inconnu ; il voulut le faire connaître, c’est-à-dire donner au xviiie siècle quelque chose de l’impression qu’éprouvèrent, en lisant l’Enfer, les Italiens du quatorzième. Il dit cela très bien : « Ce n’est point la sensation que fait aujourd’hui le style du Dante en Italie qu’il s’agit de rendre, mais la sensation qu’il fit autrefois. Si le Roman de la Rose avait les beautés du poème de l’Enfer, croit-on que les étrangers s’amuseraient à le traduire en vieux langage, afin d’avoir ensuite autant de peine à le déchiffrer que nous[2] ? » Rivarol répond ainsi d’avance, non

  1. Petit Almanach. Supplément.
  2. L’Enfer. Avis de l’éditeur.