Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ches ? Je le crois. Voici le passage : « Si la parole est une pensée qui se manifeste, il faut que la pensée soit une parole intérieure et cachée. » Il y a, un peu plus loin, un paragraphe sur l’accord entre les langues et les climats, qui ne me semble pas sans valeur, même scientifique : « La nature, qui n’a qu’un modèle pour tous les hommes, n’a pourtant pas confondu tous les visages sous une même physionomie. Ainsi, quoiqu’on trouve les mêmes articulations radicales chez des peuples différents, les langues n’en ont pas moins varié comme la scène du monde ; chantantes et voluptueuses dans les beaux climats, âpres et sourdes sous un ciel triste, elles ont constamment suivi la répétition et la fréquence des mêmes sensations. » Sans doute, Rivarol a lu Condillac, mais c’était son devoir, comme c’est son mérite d’avoir fait entrer dans la littérature des notions qui n’y avaient pas encore pénétré. Songe-t-on à ce qu’auraient mis de rhétorique, en un tel sujet, un La Harpe ou un Thomas, les grands critiques du moment ?

Après un intermède, le Dialogue entre Voltaire et Fontenelle, qui est peut-être le chef-d’œuvre de la finesse, Rivarol, surmontant de longues hésitations, donna enfin au public sa traduction de l’Enfer. Dante n’était connu en France que de ceux qui lisaient l’italien. On en possédait cependant une tra-