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tre critique sur le poème des Jardins, badinage un peu gauche, mais si bien pensé qu’il représente assez véritablement l’arrêt de la postérité. L’abbé Delille y est doucement ramené à sa juste valeur. Dès ce moment, Rivarol prend, comme on disait alors, le « sceptre de la critique ». Par ses écrits et aussi par sa parole, par son silence aussi, il va diriger l’opinion. Quand la Révolution le force à devenir critique politique, il avait renouvelé la critique littéraire. A la suite de cette Lettre, on imprima bientôt le Chou et le Navet, facétie en vers qui eut, dit Cubières, plus de trente éditions. Rivarol s’amuse, mais, même quand il s’amuse, il reste judicieux. Quoi de plus véridique que cette prophétie burlesque sur l’abbé Delille :

Sa gloire passera : les Navets resteront.

Rivarol, autre signe de jugement, ne dédaigna jamais l’actualité. Sa Lettre sur le globe aérostatique est un agréable tableau de l’agitation où jetèrent Paris les expériences de Montgolfier et de Charles. Il y a déjà de la philosophie dans cette bagatelle et il juge bien l’honnête Montgolfier, inventeur par hasard, et Charles, « physicien très distingué ». C’est là qu’on trouve ce joli mot : « Il n’est rien de si absent que la présence d’esprit. » Comme tous les mots de Rivarol, il est lié à un