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niques, qui remplit l’Essai, était moins fait pour séduire Nietzsche, admirateur de la tradition gréco-latine, que Wagner, tout allemand. Avec Wagner, qu’il connut dans les dernières années de sa vie, Gobineau s’entretenait, paraît-il, de la régénération de l’humanité ; mais tous deux étaient vieux et las. Nietzsche n’aurait pas beaucoup goûté l’idée d’une rénovation du monde par le germanisme et surtout le germanisme wagnérien.

« Quand on explique une victoire, dit Thucydide, par ceci, que le vainqueur avait pour lui le bon droit, on profère une absurdité, car l’histoire n’est pas la morale[1]. » Et il énumère les causes réelles de la supériorité des peuples dans les batailles, qui sont les forces matérielles, nombre des soldats et des vaisseaux, armement, argent, d’une part ; de l’autre l’intelligence, en tant qu’elle saura pratiquement utiliser ces ressources. Ce sont là des vérités tellement évidentes qu’il ne semble pas raisonnable, tout d’abord, d’en faire honneur au grand historien. Mais au temps de Thucydide, qui était aussi, à peu d’années près, le temps d’Hérodote, ces vérités, loin d’être banales, étaient toutes neuves.

  1. Cf. Alfred Croiset, les Orateurs attiques.