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de Villon ou de Ronsard de concevoir une Chanson de Roland ou une Divine Comédie.

Ce n’est pas parce que le sentiment religieux les inspirait que les Français des xue et xme siècles construisirent leurs magnifiques cathédrales ; ils auraient pu, tout aussi bien que les catholiques d’aujourd’hui, édifier de modestes granges ou de tristes halles pour y prier. Si leurs cathédrales sont magnifiques, c’est qu’ils ne pouvaient les faire différentes. Ce qu’ils construisaient pour se loger eux-mêmes n’était pas moins beau que ce qu’ils édifiaient à la gloire de Dieu. Ils avaient le sens de l’architecture. La contemplation d’un édifice d’heureuses proportions, brodé de sculptures, souriant à tous de tous ses vitraux, émouvait délicieusement leur sensibilité. Ils ignoraient la nature.

Voilà le point capital de l’explication pourquoi on avait au moyen-âge, et encore un peu au xviie siècle, le sens de l’architecture : on ignorait la nature. Incapables de jouir de la terre telle qu’elle est, des fleuves, des montagnes, de la mer, des arbres, ils étaient obligés, pour exciter leur sensibilité, de se créer un monde factice, d’ériger des forêts de pierres. Mais un jour est venu où la forêt naturelle a été aimée et sentie : la forêt de pierres,