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épuisés comme des manœuvres qui ont abusé de leur force. Evidemment, s’ils étaient doués d’une des qualités indispensables à l’écrivain, la faculté de voir, d’observer la vie, ils ne possédaient qu’à un degré bien miondre l’autre don indispensable, le style spontané. « À mon sentiment, écrit Edmond de Goncourt, mon frère est mort du travail et surtout de l’élaboration de la forme, de la ciselure de la phrase. » Si c’est vrai, c’est effroyable. D’autres pages du même Journal nous montrent les deux frères, dans une sorte de folie du style, « chercher l’insomnie pour avoir la bonne fortune des fièvres de la nuit » ou bien « tendre à les rompre, sur une concentration unique, toutes les cordes de leur cerveau ». Je pense que l’on reconnaît le travail normal, légitime, à ceci : qu’il est exécuté joyeusement et sans fatigue. L’apparition de la fatigue est le signe que la mesure est comble.

Le bovarysme peut donc, quand l’homme est doué d’une forte volonté, avoir les effets de l’activité naturelle. Quand cela se produit, il est bien difficile de se rendre compte si la vocation était véritable ou factice. En somme on ne sait jamais bien ce qu’un homme aurait du faire, pour remplir sa destinée ; pour se concevoir autre que ce que l’on