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lui est assignée par la destinée. M. Jules de Gaultier appelle cette maladie des civilisés le bovarysme, d’après l’héroïne de Flaubert, Madame Bovary, qui en fut atteinte à un degré aigu. Petite bourgeoise campagnarde destinée à une vie honnête et calme, sans passions, sans aventures, elle s’imagine un jour, sous l’influence des idées romantiques, que le bonheur, c’est le rêve exalté, l’amour fougueux, l’irrégularité, et elle meurt victime de son illusion. Presque tous les personnages de Flaubert, le Frédéric de l’Éducation sentimentale aussi bien que les bonshommes de Bouvard et Pécuchet, sont atteints du même mal ; mais ils guérissent, reconnaissent leur erreur, finissent par revenir à la vie normale. C’était donc Emma Bovary qu’il fallait prendre comme type de cette aberration particulière ; le mot bovarysme est, d’ailleurs, des plus heureux et il est très probable qu’il restera et entrera dans la langue, où il comblera une lacune.

Tous les jours des médecins découvrent des maladies nouvelles ; cela veut dire, non pas que ces maladies soient réellement nouvelles, mais bien qu’on ne les avait pas encore différenciées d’avec les autres maladies connues. Le bovarysme est dans le même cas ; il a toujours existé, mais on le