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la curiosité, l’amour et la science. Le drame de la vie, c’est le conflit entre ces deux forces, c’est la lutte que nous menons tantôt contre l’une, tantôt contre l’autre. Quand elle se laisse dominer par l’instinct vital, l’humanité peut vivre une intense vie matérielle, mais elle la vit stupidement ; si elle obéit aveuglément à l’instinct de connaissance, elle peut monter très haut dans les régions intellectuelles, mais aux dépens des nécessités pratiques. La supériorité dans les hommes, ainsi que dans les nations, s’obtient quand les deux forces se font équilibre, quand la floraison intellectuelle est le résultat logique d’une forte vitalité matérielle.

Cet équilibre est extrêmement rare et quand il se produit, ce n’est que pour un instant. Individus et peuples se laissent inconsciemment dominer par l’une de ces forces et se trouvent, selon le cas, ou maintenus dans un état voisin de l’animalité, ou exaltés sans mesure intellectuellement.

Des deux états absolus, le moins naturel à l’homme est assurément l’état intellectuel. Une certaine dose d’intelligence provoque dans l’animal humain une ivresse singulière ; il se met à se concevoir autre qu’il n’est réellement, il se croit appelé à mener une vie entièrement différente de celle qui