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pas une page où le lecteur ne s’arrête pour lever la tête et réfléchir sur son propre destin, les yeux vagues et le cœur un peu troublé.

La philosophie véritable ne s’écrit pas, comme le croit encore le vulgaire, dans une langue spéciale, obscure et prétentieuse. Il y a des traités philosophiques rédigés en jargon et d’une lecture certainement pénible, même pour les initiés ; on ne les lit plus, depuis qu’on s’est aperçu que cette obscurité de langage est un voile, choisi à dessein très épais, pour mieux masquer la nullité de la pensée. Depuis Schopenhauer, qui reprit la tradition de Montaigne, de Descartes, des Encyclopédistes, les philosophes, quand ils ont des idées et du talent, écrivent en un style simple et clair, quelquefois même spirituel. L’un d’eux, Frédéric Nietzsche, s’est même avisé d’être en même temps un grand poète et un grand philosophe et d’étonner le monde coup sur coup par deux livres d’une forme aussi différente que Par delà le Bien et le Mal et Ainsi parlait Zarathoustra.

Il y a un ouvrage de Schopenhauer que presque personne n’a lu. Les plus curieux ou les plus courageux reculent généralement devant le titre, véritable épouvantail. Cet ouvrage porte, en effet, écrit