Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér1, 1922.djvu/87

Cette page a été validée par deux contributeurs.

leur maître Aristote, sous les portiques du Lycée. Aucun sans doute n’a résolu aucune des questions, puisqu’on les pose toujours, mais cela est fort heureux, car alors il n’y aurait plus de philosophie et les hommes auraient épuisé une des sources de leurs plaisirs.

Je prétends établir, en effet, que la philosophie, non seulement n’est pas ennuyeuse, mais est délectable et beaucoup plus émouvante que tous les drames et tous les romans.

Il est très rare qu’une œuvre d’imagination raconte des événements directement comparables à ceux qui ont rempli notre vie, ou à ceux dont nous pouvons prévoir la venue dans le cours normal de nos années futures. La philosophie, au contraire, s’adresse à chacun de nous en particulier, pour lui parler du fonctionnement de son intelligence, de la genèse de ses sentiments, de l’origine même de sa vie, de sa destinée tout entière. Bacon et Descartes, Spencer et Schopenhauer disent, comme Shakespeare ou comme Racine, les aventures d’un héros ou d’un prince, mais ce prince, nous le reconnaissons aussitôt, c’est nous-même, dans notre royauté humaine, et il n’est pas un épisode de la tragédie qui ne nous touche personnellement ; il n’est