Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér1, 1922.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avant ou après Shakespeare, ont écrit leur Roméo et Juliette. Un amour contrarié, des scènes de tendresse et de passion, deux amants qui préfèrent la mort à la désunion, c’est un thème anecdoiique que l’on peut lire presque chaque jour dans les journaux, aucun n’est plus banal, aucun, peut-être, n’est plus beau quand il est développé par le génie d’un grand poète, — et aucun n’est plus fastidieux quand c’est un romancier imbécile qui a entrepris d’en tirer deux cents feuilletons pour un journal populaire.

La philosophie a ceci de commun avec la littérature, avec l’art tout entier, que les sujets dont elle traite ont un intérêt immense ou nul, selon que l’auteur a un talent original ou n’est qu’un pédant sans idées. Ces sujets, en effet, lui sont imposés de toute éternité ; leur banalité est celle de la vie elle-même. Il s’agit aussi d’essayer de comprendre un peu le mécanisme des actions humaines et de chercher quel peut bien être leur but, et si elles en ont un, ou si la vie n’est pas autre chose qu’un ensemble de gestes évoluant parmi les ténèbres du hasard. C’est autour de cela que les philosophes, depuis qu’il y a une philosophie, se promènent avec patience, comme jadis les Péripatéticiens et