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soudain qu’on n’a pas bien compris la signification du monde ; on se trouble, on a peur, on s’accuse de paresse, de négligence ou d’orgueil : je regardais en moi, pendant que passait le vol sauvage des cygnes. Qu’importe que tu n’aies pas vu les cygnes, voyageur ! Dis-nous ce que tu as vu. Je ne sais plus, j’ai vu !…

M. Mirbeau a connu cette lassitude et ce découragement. À une heure de sa vie, c’est de lui-même plus que des autres qu’il sembla être fatigué. Pendant des années, son domaine, un bois de beaux arbres, demeura abandonné, envahi par les ronces, le lierre, l’ajonc et le houx. Puis il retrouva son activité normale, donna plusieurs livres curieux, son extraordinaire et paradoxal Jardin des Supplices et celte rude satire, les Affaires sont les affaires.

Contemporain des premiers jeux du naturalisme, l’éveil littéraire de M. Mirbeau fut violent. Pendant que les petits maîtres des « Soirées de Médan », les cinq disciples, dont deux devaient devenir des maîtres à leur tour, développaient provisoirement un génie moyen, selon une esthétique absurde et bornée, Mirbeau préparait des romans durs, violents, d’une ironie parfois un peu caricaturale, mais où des pages d’émotion avouaient,