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que c’est vrai ; venue après l’affreux théâtre pharmaceutique et procédurier d’Alexandre Dumas, ce Cyrano fut un rafraîchissement, un délicieux verre de vin parfumé et glacé après une longue course dans la poussière des chemins. On comprend vraiment l’étonnement de la critique et la joie du public. Depuis vingt ans et plus, quand on nous convie au théâtre, c’est pour entendre des avocats qui discutent sur un beau cas de divorce, sur le droit des enfants, le droit du père, le droit de la mère, le droit de L’Étal, l’avenir des sociétés, la cité future, le service militaire ; ou bien des médecins vous entretiennent de quelque vilaine maladie, de quelque difficile opération chirurgicale, du régime des hôpitaux ou de celui des prisons et d’une quantité d’autres questions également malpropres — et bêtes surtout, puisqu’elles sont insolubles, surtout au théâtre. Devant l’esprit et la bravoure de Cyrano, les spectateurs défiants se sentirent renaître ; au lieu des côtés dégoûtants de la vie, on lui en montrait les faces les plus brillantes : il était question, enfin, d’amour, d’héroïsme et de beauté !

L’enthousiasme fut unanime. Il s’ensuivit quelques illusions. M. Émile Faguet, si sage d’ordinaire et même sceptique, fut pris d’une sorte de délire.