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de Balzac, son courage à accepter des labeurs surhumains, son stoïcisme au milieu des terribles embarras d’argent qui dévorèrent une partie de son existence. Ce n’est pas admirable ; c’est plutôt estimable. Balzac était un homme en désordre, qui passa sa vie à essayer en vain de se mettre en ordre. Il avait aussi cette illusion que la gloire d’un écrivain se mesure comme la gloire d’une montagne et que la plus solide est celle qui se dresse sur la plus haute pyramide de livres. Il est très probable que, riche et indépendant, il eût travaillé avec un acharnement tout pareil. Sans doute, l’abondance de la production est parfois un signe de force, et la gloire de l’écrivain s’en trouve augmentée ; mais parfois aussi c’est un signe de faiblesse, la pyramide s’écroule et le constructeur demeure étouffé sous les décombres.

La vie de Balzac fut vraiment infernale. Sa correspondance est pleine des plus pitoyables aveux sur la condition de forçat à laquelle le réduisaient à la fois son ambition et la nécessité. Ce n’est pas seulement l’effort physique, c’est la continuité de l’effort herculéen. « Pour savoir jusqu’où va mon courage, écrit-il à Mme Hanska il faut vous dire que le Secret des Ruggieri a été écrit en une seule