Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér1, 1922.djvu/54

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« quand une pensée sort de chaque tombe ». Voyez tous ces livres portant le mot « mort » écrit sur leur couverture : la Terre et les Morts, Du Sang, De la Volupté et de la Mort, la Mort de Venise. Il y a là un état maladif dont les signes se multiplient avec une insistance monotone et presque de mauvais goût, à cause du sentimentalisme qui s’y mêle, comme un parfum violent répandu pour voiler des odeurs terribles.

Les hommes les plus froids sont souvent les plus tendres ; les plus intelligents sont souvent les plus naïfs. La philosophie mortuaire de M. Barrès est à la fois très positive et très ingénue ; elle est l’œuvre de son cœur autant que l’œuvre de sa pensée. Elle peut faire rêver les femmes en même temps que réfléchir les hommes graves. Mais elle plaira surtout aux amateurs de beau langage, car M. Barrès est un maître en l’art d’écrire, en l’art de peindre la pensée. Il les aime tant, ses pensées, qu’il s’arrête souvent pour les admirer ; il les décrit, il les fait valoir, il s’extasie devant leur charme. Il faut en convenir : ainsi parées, ce sont de dangereuses séductrices.

1903.