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mieux. À quoi bon vivre, si c’est pour n’être qu’un imitateur borné ? La plupart des hommes ne sont pas autre chose, c’est vrai, et il vaut mieux qu’ils imitent leurs parents que des étrangers. Leurs gestes seront moins gauches, ayant été dessinés avec une lente certitude par l’hérédité. Cela ne signifie pas qu’ils soient obligatoires. L’initiative personnelle doit avoir sa place même dans la plus humble vie. Ce qui caractérise l’homme, c’est précisément cette faculté de modifier, en le répétant à l’infini, le geste héréditaire.

Je sais bien que M. Barrès exagère pour protester contre d’autres exagérations. C’est une mauvaise méthode. Il ne faut pas que le noble culte du passé devienne un principe de tyrannie contre l’évolution de la vie dans ce qu’elle a de plus naturel et de plus utile. Ce passé lui-même, croit on qu’il soit autre chose qu’une suite de changements dans les mœurs, dans les croyances, dans le langage ? Il est même fort probable que les choses, jadis, changeaient beaucoup plus vite et plus souvent que maintenant. Une civilisation orale est des plus instables ; il suffit d’une génération pour bouleverser la coutume. Le monde n’a pris un peu solidité que le jour où l’homme a consigné dans des livres