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duits ; il y a une ligne de force qui se continue, affaiblie ou renforcée, calme ou sinueuse, le long des siècles. Être, c’est continuer. L’individu est le chapitre d’un livre qui aura sans doute une fin, mais qui n’a pas eu de commencement.

Cette solidarité dans ie temps est plus absolue encore que la solidarité dans l’espace, c’est-à-dire dans la vie présente ; l’une, après tout, se peut répudier, l’autre est invincible, puisqu’elle est le principe même de notre existence. Ils sont bien naïfs, ceux qui parlent de répudier le passé. Qu’est-ce que le passé, sinon la matière même dont nous sommes formés ? Notre passé dont nous sommes les fils, doit nous être sacré, même s’il nous paraît affreux, du moment que nous nous aimons, que nous nous estimons. Seul un pessimiste furieux pourrait maudire ou renier les générations dont il est né : mais sa malédiction ou son reniement seraient impuissants à user un seul des fils qui ie relient à la chaîne des temps.

Ces notions, quand elles sont exposées en langage simple et clair, semblent irréfutables. Elles le sont, et cependant il ne faut pas les accepter dans leur nudité. Prises à la lettre, rédigées en articles de foi, elles pourraient engendrer un fatalisme