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le nom d’esprit de perversité, quand il nous montre un homme faisant le mal pour le mal, sans plaisir, sans intérêt, et avec terreur, mais dominé par une puissance mystérieuse. C’est sa propre histoire qu’il a racontée dans le Chat noir, et il n’y manque que l’identité des dénouements. S’il ne poussa pas l’esprit de perversité jusqu’à torturer autrui inutilement, ne fut-il pas, avec une perversité encore plus raffinée, le bourreau de sa santé, de son intelligence, de son génie ?

Malade à Richmond, où il avait résolu de se fixer, Poe fut appelé à New-York pour une affaire importante, se mit en route, mais fut obligé de s’arrêter à Baltimore. Là, il entra dans un cabaret et selon son habitude absorba des quantités d’alcool (ou, peut-être comme à certains buveurs invétérés, ne lui en fallait-il que très peu !) — sans cependant aller, comme on l’a dit, jusqu’à rouler ivre-mort. Tout porte même à croire qu’il était peut-être beaucoup moins ivre ce soir-là que bien d’autres soirs, car il était avec quelques-uns de ses amis, buveurs eux-mêmes, mais non ivrognes.

Le petit cabaret était plein ; c’était la veille d’une élection et on buvait ferme aux frais des candidats représentés par leurs agents électoraux, Vers les