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bien étrange maladie mentale, d’une sorte de paralysie de la volonté. Il avait horreur de l’alcool et il buvait. Lui qui avait proféré contre l’alcool les plus terribles anathèmes, lui qui avait fait l’éloge de la tempérance, il ne pouvait plus travailler que dans l’hailucination de l’ivresse : « On ne va nullement trop loin, écrit-il dans ses Marginalia, quand on affirme que le mouvement en faveur de la tempérance est le plus important du monde. La tempérance augmente, en effet, dans l’homme la capacité des jouissances saines. L’homme tempérant porte en lui, en toute circonstance, la vraie, la seule condition du bonheur. » Et il ajoute qu’il faut y pousser l’homme par des craintes physiques, des raisons d’hygiène ; la morale y trouvera son compte par surcroît. Pour lui, rien ne l’arrêta et quand on connaît la haute intelligence de Poe, on ne doute pas un instant qu’il n’ait prévu les affreuses conséquences de ses habitudes d’ivrognerie ; il les a prévues et il a persévéré. Rien ne caractérise mieux une maladie de la volonté.

Edgar Poe, qui avait été plus loin en phsychologie morbide qu’aucun autre écrivain de son temps, connaissait bien ces affaiblissements de la force du vouloir, ou leurs déviations. Il les a étudiées sous