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le poêle recueillant une poignée de sable, et pleurant de n’en pouvoir arracher même un grain à la destructive fureur des vagues :

God ! can not save
One from the pitiles wave ?

Mais cet incident futile et ridicule est le point de départ d’une rêverie obscure et profonde : c’est le monde entier qui fuit sous la vague dévoratrice, avec nos joies, nos vies, nos songes.

16.

Poe est le plus subjectif des poètes subjectifs. Les terreurs qu’il se vante de créer froidement, il les ressent et les souffre. La peur, la douleur qu’engendre la peur, voilà le thèmepresque unique de ses poèmes aussi bien que de ses contes les plus beaux et les plus directement nés de son génie. Mais dans les poèmes seuls il consent à l’aveu des sentiments de profonde tendresse dont sa vie était troublée et charmée ; il écrit ses contes pour tout le monde ; il écrit ses vers pour lui et pour quelques cœurs féminins : les contes ne sont que la moitié d’Edgar Poe, les poèmes le contiennent tout entier.