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auteurs anciens quibus severa vita fuit et lœta materia.

6.

Le contraste est ici excessif entre Poe et Baudelaire, qui pourtant sont des intelligences de même forme. Une préface non publiée des Fleurs du Mal résume son esthétique :

Son vice vénérable étalé dans la soie
Et sa vertu risible —
Car j’ai de chaque cbose extrait la quintessence :
Tu m’as donné la boue et j’en ai fait de l’or.

Baudelaire méprise la femme civilisée, parce qu’elle est trop peu civilisée, trop naturelle, trop instinctive : « La femme a faim et elle veut manger ; soif, et elle veut boire. Elle est en rut, et elle veut être baisée : le beau mérite ! » (’Mon cœur mis à nu.) Il la traite en inférieure, parce que dans ses manifestations d’amour elle ne sépare jamais l’âme du corps, le sentiment de la sensation. On peut en effet voir là une faiblesse, mais le jour où la femme aurait acquis la force de pouvoir séparer, comme le mâle, le sentiment et la sensation, elle serait devenue un être tellement différent de celui que nous connaissons qu’il lui faudrait un autre nom.