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les Italiens, Flaubert pour les Français. Quelques uns savent que tous les troupeaux humains son pareils : ils n’envient pas de pâturer en d’autres prairies une herbe toujours empoisonnée par la méchanceté des hommes.

2.

Il n’y a pas toujours de relation logique entre la vie et l’œuvre d’un écrivain. La vie s’en va comme l’eau d’un torrent, d’un fleuve las, d’un ruisseau gai, et les fleurs, et les œuvres qui croissent sur les rives ont leur caractère distinct : le ruisselet s’orne des plus orgueilleux flambes et le torrent, des fleurettes les plus fades ; le fleuve coule parmi l’uniformité des herbes. Une œuvre tragique n’implique pas une vie tourmentée ; la littérature des époques révolutionnaires est souvent le bêlement d’une bergerie ; on a cherché dans Cromwell l’explication de Milton : les fables de Florian parurent en 1793.

La vie de Poe n’eut rien d’extraordinaire. Elle fut celle d’un homme de lettres tour à tour collaborateur et directeur de magazines. Comme d’autres il avait sagement dédoublé sa vie : le grand poète était aussi un littérateur actif et qui poussa souvent jusqu’au pédantisme, un besoin originel de