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Cet obstacle, on le lui fournit dans les pépinières, sous la forme d’un caillou plat qui force le pivot à se déplacer, à se ramifier à droite et à gauche. Ce caillou est un artifice. Grâce au caillou glissé sous sa racine centrale, l’arbre va acquérir très vite la faculté de subir sans dommage la transplantation dans un sol différent, où il prendra de nouvelles forces. L’instruction, cet autre artifice, caillou glissé sous l’instinct de l’enfant, va le forcer de regarder autour de lui, au lieu de rester les yeux fixés sur sa terre natale. Et, comme le jeune arbre, il va se trouver prêt pour la transplantation. La subira-t-il sans dommage ? C’est une toute autre question. Et c’en est une aussi de savoir si l’instruction a toujours les effets heureux qu’on lui attribue. Les hommes ne sont pas des arbres ; une métaphore n’est pas un raisonnement. De ce que l’on transplante les végétaux, il ne s’ensuit pas que l’on doive aussi transplanter les humains. Cependant, les hommes sont faits pour marcher, et il n’est pas miraculeux de les voir se transporter d’un lieu à un autre. Ce qui semble artificiel chez l’homme, animal migrateur, c’est l’enracinement. Mais tout ce qui fait la supériorité de l’homme est artificiel. L’enracinement des tribus