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ment attachée au sol ; cette masse existe en France. Elle est constituée par toute la partie de la population des campagnes que la terre peut facilement nourrir. Ceux-là ne se déracineront pas, n’ayant aucun intérêt à le faire. Ils se reproduiront sur place, comme les arbres des forêts sauvages, et ils végéteront tranquillement pendant de nombreuses générations. Ces masses sont les pépinières naturelles où la civilisation vient, de temps en temps, chercher de jeunes plants, qu’elle repique, qu’elle élève, qu’elle dresse, qu’elle fortifie, s’ils ont assez de santé pour subir cette opération grave. S’ils succombent, le mal n’est pas grand : d’autres les remplacent.

Comme le dit fort bien M. André Gide, s’il ne fallait pas permettre aux hommes de se déraciner, il ne faudrait pas non plus leur permettre de s’instruire, car « toute instruction est un déracinement par la tête ». Et il ajoute : « Plus l’être est faible, moins il peut supporter l’instruction… L’instruction, apport d’éléments étrangers, ne peut être bonne qu’en tant que l’être à qui elle s’adresse trouvera en lui de quoi y faire face ; ce qu’il ne surmonte pas risque de l’accabler. L’instruction accable le faible. »