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dont une partie revient encore à cet extraordinaire Letourneur, à ce traducteur si adroit et d’un tel sens critique qu’il ne se trompa jamais, que tout ce qu’il emprunta à l’anglais fut aussitôt adopté par le public, admis par les écrivains de son temps ou des années suivantes. A la vérité, l’Ossian de Letourneur, paru en 1777, n’eut pas un succès immédiat. Cela parut singulier, plutôt qu’enchanteur. Tandis que les Nuits se vendaient couramment, « Ossian, fils de Fingal, barde du troisième siècle », ne fut pas réimprimé avant l’année 1799. Mais alors l’enthousiasme, tout d’un coup, éclata. La France en quelques mois devint tout entière ossianesque. Les fils reçurent au baptême le nom d’Oscar (par exemple le fils de Bernadotte, né cette même année), et les filles, le nom de Malvina. Il y a de cette époque un tableau de Girodet, reproduit en lithographie, qui représente les plus célèbres généraux de la Répubhque comparaissant devant Ossian qui leur tient un discours. C’était un délire. Un poète, que les romantiques ont ridiculisé depuis, quoiqu’il fût un de leurs précurseurs, Baour-Lormian, profita de cette vogue et mit en vers la prose de Letourneur. Ainsi versifié, l’Hymne au Soleil fut longtemps célèbre :