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faut se rendre compte que cela tomba, en 1769, entre Bernis et Dorat ; il y avait de quoi effaroucher « les tourterelles de Zelmis ». Elles s’enfuirent si loin qu’on ne les revit plus jamais, ou bien, peut-être, elles se métamorphosèrent en corbeaux ou en hiboux. Les Nuits sont un poème à la fois religieux, moral et romanesque : et ces trois caractères furent précisément ceux du premier romantisme tel qu’il s’épanouit dans les Méditations de Lamartine. Tous les jeunes gens, nés à la vie intellectuelle depuis 1769, dévorèrent ces tristes Nuits, dont le succès, s’il est un fait considérable, est un fait assez fâcheux, car rien n’était moins conforme au génie français, plutôt disposé au sourire et au scepticisme qu’aux sombres réflexions sur les peines de la vie. Le romantisme ne pouvait se développer en France que sous des influences étrangères : il y en eut d’heureuses comme Shakespeare, Gœthe, qui élargirent notre génie poétique. Il y en eut de très mauvaises, telles que celles de Young, d’Ossian, d’Hervey.

Les Méditations sur les tombeaux, de Hervey, furent traduites, toujours par Letourneur, un an après les Nuits. Le retentissement fut beaucoup moindre ; elles n’eurent pas, comme les Nuits, cin-