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« Point de religion en Angleterre, dit Montesquieu dans ses Notes. Si quelqu’un parle de religion, tout le monde se met à rire. » Il faut songer à cela, quand il s’agit de l’Angleterre, telle que Voltaire la vit et l’admira. Montesquieu dit encore : « L’Angleterre est à présent le plus libre pays qui soit au monde : je n’en excepte aucune république. » Les deux nations voisines différaient assez sur ce point, car si on vivait assez librement en France, la liberté n’y était pas de principe. Voltaire devait s’ingénier à créer une France sur le modèle de l’Angleterre de 1730. Il y réussit en partie ; mais l’Angleterre, au moins pour les idées religieuses, évoluait dans un sens différent. De si près que se suivent deux grands peuples, leurs oscillations sont rarement convergentes.

Il arriva aussi que la littérature anglaise que Voltaire découvrait, celle de Dryden, Addison, Pope, Butler, était celle qui était en train de mourir sous l’influence tardive de Shakespeare ressuscité, et aussi sous la poussée du romantisme naissant. Il est vrai qu’il révéla Shakespeare aux Français de l’an 1733, en piquant leur curiosité par un mélange bizarre d’admiration et de réticences : « Le Corneille de Londres, grand fou d’ailleurs, mais il a