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romanes. D’œuvres chrétiennes de cette beauté, il n’y en a point d’autres dans la littérature française ; et, pour retrouver cette même inspiration, il ne faut pas franchir moins de huit siècles, il faut arriver à Chateaubriand et rencontrer les Martyrs.

Comme toute la chimie dépend de Lavoisier, toute la poésie moderne, et par poésie j’entends toute l’imagination, dépend de Chateaubriand ; et avec toute la poésie, tout le style, toute l’éloquence. Il a formé Victor Hugo aussi bien que Flaubert, Taine aussi bien que Michelet ; George Sand a refait René toute sa vie et l’un de nos derniers grands écrivains, Villiers de l’Isle-Adam, né de la même terre que l’auteur des Mémoires d’outre-tombe, avait profondément subi sa domination littéraire. On se souvient de l’un des derniers grands succès de librairie, de Quo Vadis ? Et qu’était-ce que ce roman, sinon une transposition moderne des Martyrs, adroitement mis à la portée du vaste public ignorant ? Et qu’est-ce que l’Oblat, enfin, et la Cathédrale, sinon l’amplification de quelques chapitres du Génie du Christianisme ? Entre le dix-huitième et le dix-neuvième siècle, il y a Chateaubriand ; pour passer de l’un à l’autre, il faut traverser son jardin.