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que que d’ouvrir les yeux pour voir et pour sentir ; consentons à laisser noire âme dans l’engourdisseinent, notre esprit dans les ténèbres, à ne nous jamais servir ni de l’une ni de l’autre, à nous mettre au-dessous des animaux, à n’être enfin que des masses de matière brute attachées à la terre. »

Buffon ne croyait pas, d’ailleurs, que l’homme eût jamais vécu autrement qu’en société, et là encore il est le précurseur incontesté des sociologues modernes. Il assurait que, si le monde entier était connu, on ne trouverait nulle part l’authentique homme naturel, c’est-à-dire un homme isolé, presque privé de la parole, insensible aux signes, dénué de la faculté de concevoir des idées, pareil à peu près aux grands singes, n’ayant de l’homme, en somme, qu’une certaine forme humaine. Le monde est presque connu tout entier, et on n’a pas trouvé cette esquisse de l’humanité ; les plus humbles peuplades vivant dans un état assez voisin de celui des animaux, les Boschimans, par exemple, ont néanmoins quelques formes sociales, des usages, des traditions, un langage et même un rudiment de littérature orale, contes et superstitions.

Voltaire avait d’autres arguments : « Quelques mauvais plaisants, dit-il, ont abusé de leur esprit