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« Le grand défaut de tous ces livres à paradoxes, disait Voltaire, en songeant aux divagations de Jean-Jacques Rousseau, n’est-il pas de supposer toujours la nature autrement qu’elle n’est ? » Cela s’applique à merveille au portrait de la femme naturelle dessiné par Laclos. Il n’y a de science que des faits et des faits constants. Il n’est pas permis de se servir de la logique pour construire, soit dans le passé, soit dans le futur, un état social idéal : ou, si cela est permis, c’est à titre d’amusement romanesque. Affirmer que l’homme un jour sera parfait, ou bien qu’il fut parfait jadis, c’est débiter un conte de nourrice dont tout l’intérêt est dans le talent du narrateur, toute la valeur dans la crédulité de l’auditoire. La perfection initiale de l’homme ou sa perfectibilité indéfinie, ce sont là deux chimères de pareille nature ; les esprits simples y peuvent trouver des motifs d’édification ou de consolation, et c’est tout.

Du temps de Laclos, l’idée que l’homme avait, à ses origines, vécu dans la félicité, se continuait par l’idée qu’il retrouverait un jour cette félicité primordiale. Aujourd’hui, on a rejeté la première idée et conservé la seconde : Rousseau, Laclos et Condorcet avaient, jusque dans leurs rêveries, une cer-