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les plus arriérées, la Basse-Normandie, est tout aussi « romanesque » que l’Italie ou les bords du Rhin, quand le romancier a du génie. En ce temps-là, avant la guerre, les imaginations étaient romantiques et la France prenait plaisir à se mépriser elle-même, en ne montrant du goût ou de l’estime que pour les pays étrangers. Barbey d’Aurevilly a beaucoup contribué à nous guérir de cette maladie. Voici comment il parle de Valognes, de la vieille ville muette, triste et abandonnée, la ville, déchue par excellence, la Bruges normande :

« Le grand aspect de la rue de la Poterie n’existe plus. Les deux larges ruisseaux bouillonnant d’une eau pure, comme de Teau de source, dans lesquels on lavait autrefois du linge qu’on battait au bord sur des pierres polies, et qu’on passait sur de petits ponts de bois mobiles, ont été détournés de leur cours. Il n’y a plus qu’un maigre filet d’eau qui coule ; seulement il a une manière de couler, en frissonnant, et l’eau est si bien de la pureté que j’ai connue, que je me suis tout à l’heure arrêté à voir frissonner cette pureté. C’étaient mes souvenirs que je regardais frissonner dans cette eau transparente et fuyante. Un temps doux et gris, entremêlé d’un soleil pâle. Hier, avant-hier, des